Le texte-origine... à partir duquel les élèves écrivent librement (dans tous les genres, les registres, les types de discours...). Sélection ensuite d'une dizaine de "fragments" (au maximum et environ 1000 mots au total) reliés par des "liens hypertexte". Veiller à l'unité finale de l'hypertexte.




INCARNATION


    Shulawitsi, le Petit Dieu du Feu, membre du Conseil des Dieux et Représentant du Soleil, avait ajusté à ses pieds ses chaussures de sport à fermeture Velcro. Ainsi que l'Entraîneur le lui avait appris, il avait serré fort sur le coup de pied le ruban à crochets. Et maintenant, les pointes qui mordaient dans la terre compacte du chemin des moutons semblaient être une partie de lui-même. Il courait avec une grâce parfaitement acquise, son corps fonctionnant comme une machine, son esprit ailleurs, occupé à autre chose. Juste devant lui, là où le chemin obliquait sur le flanc de la mesa, il allait s'arrêter, comme il le faisait toujours, se chronométrer et s'accorder quatre minutes de repos. Il savait maintenant avec une certitude triomphante qu'il serait prêt. Ses poumons s'étaient dilatés, les muscles de ses jambes endurcis. Dans deux jours, quand il guiderait Longue Corne et le Conseil depuis le village ancestral jusqu'à Zuñi, la fatigue ne lui ferait pas oublier les mots du chant sacré, ni un seul pas de la danse rituelle. Et quand Shalako viendrait, il serait prêt à danser toute la nuit sans commettre la moindre erreur. Jamais les Salamobia n'auraient à intervenir pour le punir. Il se souvint de quand il avait neuf ans, l'année où Hu-tu-tu avait trébuché à l'endroit où le chemin franchit le Zuñi Wash ; les Salamobia l'avaient fouetté avec leur bâton de yucca tressé et tout le monde s'était moqué de lui. Même les Navajos avaient ri, et ils ne se moquaient guère pendant Shalako. Ils ne se moqueraient pas de lui.

    Le Dieu du Feu se laissa à demi tomber sur l'affleurement de rocher qui constituait son lieu de repos habituel. Il jeta un rapide coup d'oeil à sa montre. Il lui avait fallu onze minutes et quatorze secondes pour effectuer cette portion du parcours : onze secondes de gagnées sur son temps de la veille. Cette pensée l'emplit d'une satisfaction qui s'effaça rapidement. Il resta assis sur le rocher, garçon élancé dont les cheveux noirs humides retombaient sur le front, à se masser les jambes à travers le coton de son pantalon de survêtement.

Tony HILLERMAN, Dance Hall of the Dead (Là où dansent les morts),  1973, incipit.